UN DISCOURS FILANT UN MAUVAIS COTON ?

Aussi belle que soit la dernière paire de Nike, ou joli, le manteau de la toute nouvelle collection Zara, trouvés sous le sapin cette année, bien ternes paraissent-ils après les mots accusateurs du député européen Raphaël Glucksmann devant le Parlement le 17 décembre dernier. Disparitions, internements dans les camps de rééducation, travail forcé, détentions massives et pire encore stérilisation forcée : les rapports des organisations de défense des Droits de l’Homme appuyés de nombreux témoignages sur le net, feraient pâlir le plus pâle de nos concitoyens. Concitoyens qui, sans se poser plus de questions que nécessaire, se seront malheureusement rués ces dernières semaines, en cette période de fêtes de fin d’année, dans des enseignes dont le chiffre d'affaires cache de bien sordides vérités.


Le silence est ainsi brisé sur la cause ouïghoure avec ce discours au Parlement, venant de ce pas ré-affirmer sur la scène politique une question déjà largement relayée et déplorée sur les réseaux sociaux : Pourquoi les gouvernements du monde entier restent-ils silencieux et inactifs face aux preuves maintenant accablantes d’une répression grave de la minorité ouïghoure par l’État chinois ?


“J’accuse les patrons cupides de Nike, de Zara et de tant d’autres multinationales qui bénéficient de la réduction en esclavage d’un peuple”


a dénoncé le député. Effectivement, Inditex, la maison-mère de Zara, entretient des liens avec deux unités de productions textiles chinoises importantes, complices du travail forcé imposé par le gouvernement chinois à la minorité musulmane. Bien que la marque du grand groupe espagnol, qui possède également les enseignes Massimo Dutti, Pull & Bear, Bershka et Stradivarius entre autres, démente les faits; les recherches indépendantes du Worker Rights Consortium prouvent bien que les entreprises sont liées. Selon les récentes révélations du Wall Street Journal, cinq sociétés d’audits ont placé la région ouïghoure sur liste noire en raison de l'impossibilité des travailleurs de se livrer librement aux auditeurs, sans craindre les restrictions ainsi que le climat de terreur instaurés par les dirigeants chinois. Dès lors, les multinationales qui prêtent à tout solder si ce n’est leur hypocrisie, ne peuvent se prévaloir des audits sociaux réalisés auprès des unités de productions de la région, qui leur permettaient de continuer à se fournir à des prix défiants probablement toute concurrence. Ce concept accablant n’est pas sans en rappeler un autre qui marque une période bien sombre de l’histoire, remettant au goût du jour, n’ayons pas peur de le dire, l’esclavage et le travail forcé.


« J’accuse la communauté internationale de consentir à ce crime par son silence et sa passivité.”


Alors que font les grands gouvernements de ce monde à une heure aussi grave ? Quelle est la position du Chef d’État français, celle de l’Union Européenne, ou encore de tous les dirigeants musulmans, à l’heure où une telle situation qualifiée par l’auteur du discours de “pire crime contre l’humanité du XXIe siècle ” et qui paraît totalement insoutenable, est pourtant bien réelle, et confirmée par des témoignages trouvés à foison sur le net. Après avoir pointé du doigt le rôle indirect des patrons de multinationales dans ce qu’il qualifie de “génocide”, l’orateur a donc également souligné celui des dirigeants européens et ceux du monde musulman qui “consent à ce crime par son silence et sa passivité”. Le Parlement européen, ce 17 décembre, a en ce sens adopté une résolution d’urgence visant à sanctionner les responsables politiques chinois à l’origine de la persécution que l’on ne saurait voir, de cette minorité turcophone et majoritairement musulmane. Bien qu’il soit encore trop tôt pour crier victoire, la résolution demande à la Commission, au Conseil et aux États membres de “prendre les mesures afin de persuader le gouvernement chinois de fermer les camps et de mettre fin à toutes les violations des droits au Xinjiang et ailleurs”. Le texte “condamne fermement le système de travail forcé dirigé par le gouvernement” chinois et n’omet pas de souligner le fait que honteusement “des marques et des entreprises européennes bien connues [en] ont bénéficié”. Ce sont, bien logiquement, puisque le travail forcé des Ouïghours est principalement réalisé dans les champs de coton, les enseignes de textiles qui sont le plus à déplorer. La mode donc, mais à quel prix ? Aujourd’hui 85% du coton chinois est produit dans le Xinjiang (se prononce comme ça s’écrit), 30% de la production mondiale est issue de cette seule région. Lundi 14 décembre 2020, un rapport de la BBC démontrait que plus de 500 000 Ouïghours étaient enrôlés de force dans les champs de coton.


Bien que la démarche permette de mettre la lumière sur une noble cause, avisé est l’esprit qui cherchera cependant à la replacer dans le contexte qui est le sien : à savoir une parole portée par un politique, et qui pourrait donc, et le conditionnel est de mise, être destinée à servir les intérêts propres de son prédicateur. Que disait cette fable déjà ? Tout flatteur vit aux dépens de celui qui l’écoute...


Reprenant donc les mots connus et on ne peut plus connotés, de notre vieil Émile Zola national, en une anaphore qui sonne bien familière et peut être il faut le dire, un tantinet osée à nos oreilles, le « J’accuse » du député européen Raphaël Glucksmann, permettra a minima, pour ceux qui l’ont entendu, de peut-être résister aux tentations toujours plus grandes de certaines enseignes de la société de consommation, et qui plus est à l’orée de la période des soldes d’Hiver qui débuteront le 20 janvier prochain.






Cécile Enssieu