La marche calme des “énervés”. #Hirak

Les cafés ont rouvert à Alger.


Une chose est sûre, s’il est de coutume que la phrase la plus prononcée en ce lieu soit : " l'press kho" (un expresso frère), aujourd'hui comme depuis deux ans c'est d'abord du Hirak dont on parle et ensuite vient la commande.


Deux ans déjà. Deux années rocambolesques, des scènes plus loufoques les unes que les autres. C'est un 16 février que tout a commencé. Alors que le monde entier connaissait l'algérien énervé, personne n'avait encore accordé d'attention à son côté ambianceur, politisé, passionné et bienveillant à condition que l'on ne le titille pas trop. Et tout le monde avait oublié la femme algérienne révolutionnaire jusque-là réduite à une préparatrice de couscous par Madame la ministre de la culture et des arts.


Mais " l'équipe à Boutef " plus communément appelée "l3issaba''(la mafia) a beaucoup trop joué avec le feu provoquant l’embrasement du peuple algérien. Et puisque leur excès de fierté les pousse toujours à faire différemment des autres, ils ont explosé en reconstruisant l'intérieur. Mais que s'est-il passé depuis que les rues furent envahies de femmes et d'hommes en quête de libertés ?


Pas un vendredi sans que les pieds des Algériens, normalement entraînés à frapper le sol pour la traditionnelle danse de l’allaoui, n'aient foulé le sol des grandes villes du pays. Après tout, une aussi belle excuse pour sortir le drapeau ne se refuse pas !

La créativité d'El Manchar (le gorafi algérien) est devenue obsolète depuis que la réalité l'a dépassée, il suffit de reprendre les propos des dirigeants et l'affaire est dans le sac. Il y a tout d'abord eu un président par intérim, puis un vote dans l'urgence fortement contesté, avec des candidats imposés. Une vidéo d'une camionnette fuyant des voitures de police, camionnette conduite par un citoyen ayant subtilisé les urnes du vote, circulait en boucle sur les pages spécialisées. Encore un doute concernant l’agacement du peuple algérien ?

Bref, passons au nouveau président qui vante une "Algérie nouvelle", et même s’il semble sincère, tout le monde en doute notamment à cause de révélations judiciaires. De nombreux ex-dirigeants ont été jugés et condamnés à de lourdes peines, avec des accusations toujours plus affolantes. La dernière en date, la revente au marché noir de lingots d'or offerts par des dirigeants du Golfe à la présidence, la recette de cette vente ayant servi à financer la campagne de Bouteflika. Sans compter tous les jugements en appel et des peines encore plus lourdes prononcées, ainsi que d’autres jugements devant d'autres tribunaux. Vous êtes perdus ? Nous aussi.

Pendant ce temps, des journalistes et des activistes sont emprisonnés pour avoir pris part, couvert, et alimenté une "révolution pacifique", "le Hirak béni" comme le qualifie le président lorsqu'il chante ses louanges. L'injustice persiste, la corruption ne faiblit pas, mais l'Algérien énervé reste calme et chante dans les rues en faisant connaissance avec son voisin et sa voisine, son peuple qu'il avait sous-estimé. Son peuple, divisé et meurtri par la colonisation, la guerre civile, puis le divisionnisme opéré par le gouvernement.

Ils l'ont compris, le changement ne viendra pas d'en haut, rien ne sert de tout casser et de se diviser. Ils contestent ensemble, peu importent leurs différences, une minijupe et un barbu qui discutent politique en souriant, un enfant sur les épaules de son père vivant une "révolution du sourire" qui marquera sa vie, façonnera sa citoyenneté et son sentiment d'appartenance à la nation.

Le bilan ? Rien de cassé (à part des visages frappés à coups de matraques), un peuple ordonné et organisé (qui l'eut cru) et un éveil sociétal émergent.


Il est vrai qu'au vu de tout cela, la révolution pacifique entamée ne semble pas avoir porté ses fruits en termes de gestion et de politique. Mais peut-on évaluer le succès d'une transition politique à l'état des dirigeants et de leurs actions, alors qu’eux-mêmes sont visés ?


Et si la réussite d'une révolution résidait dans la façon dont le peuple se l'approprie ? Peut-être que c'est ça une révolution. Marquer les esprits, les comportements, les visions, donner de l'espoir, changer un peuple et l'éveiller, lui permettre de se retrouver autour d’un objectif commun, s’unir pour le bien de tous, résister ensemble face à l'adversité pour affirmer et ancrer les nouvelles valeurs d'un pays, d’une nation, dans les habitudes des citoyens et de la population.




Vagabond